« La démarche d’engagement n’est pas un sprint, c’est un marathon. »
Ce jeudi 19 septembre, Pierre Cannet, dirigeant et fondateur de Blue Search, était invité à une table ronde organisée lors de la #ConfRH de l’Opinion. Le thème de la conférence portait sur l’engagement au travail notamment sur la façon dont une entreprise peut faire en sorte d’avoir des salariés engagés. Guillaume de Goÿs, Hélène Halec et Ghyslain Morvan étaient aux côtés de Pierre pour partager leurs points de vue et leurs bonnes pratiques.
Contexte
Tout d’abord, il faut comprendre le contexte dans lequel on parle d’engagement au travail aujourd’hui. Hélène Halec a présenté quelques chiffres qui illustrent le marché de l’emploi cadres. Ce marché est très dynamique :
- En 2023, il y a eu 330 000 recrutements de cadres
- En 2024, les prévisions parlent de 337 000 recrutements de cadres
Mais il est actuellement en léger fléchissement. En effet, le constat au 1er trimestre est que les entreprises étaient moins nombreuses qu’en 2023 à recruter puisque 10% des entreprises ont finalisé leur recrutement au 1er trimestre contre 14% en 2023.
On observe malgré tout, que l’intention de mobilité est toujours présente chez les cadres. Le changement d’entreprise est d’ailleurs vu comme une opportunité pour plus de 50% d’entre eux. D’où l’importance de l’engagement et du sujet de fidélisation des collaborateurs ! En effet, 6 cadres sur 10 sont en veille et 9% des cadres en poste en 2024 sont en recherche active (CV mis à jour). On rappelle qu’un tiers des cadres en poste avaient postulé en 2023. L’enjeu de fidélisation est un véritable enjeu.
Pierre Cannet explique que le « marché est brouillé. La dégradation est plus sensible que ce que les chiffres montrent. La difficulté c’est que la position des cadres vis-à-vis du marché de l’emploi n’est plus aussi facilement perceptible qu’avant ». Avant les collaborateurs voulaient être salariés. Maintenant, certains veulent être autoentrepreneurs, slashers (plusieurs emplois en même temps) ; serial entrepreneurs (créent plusieurs entreprises), d’autres veulent voyager etc. On ajoute à cela des entreprises qui vont moins bien qu’avant ; « le luxe se portait bien, là ça va légèrement moins bien » tandis que d’autres entreprises se portent mieux (le secteur du voyage par exemple). Finalement, Pierre indique qu’entre une offre morcelée et une demande hétéroclite, il y a des problèmes d’adéquation : « des salariés qui ne veulent plus être salarié, et des entreprises qui ne veulent plus recruter ou qui, au contraire, cherchent à recruter et qui ne trouvent pas la bonne compétence ». Il y a des excédents de candidatures dans certains postes (prêt-à-porter) et des pénuries dans d’autres (data science, IA, cybersécurité).
Comment est perçu l’engagement par les intervenants de la table ronde ?
Ghyslain Morvan a partagé son expérience dans le secteur de la restauration. La pénurie de personnel est un véritable enjeu pour sa société. Pour attirer les talents et les garder, il a décidé de réaffecter du budget pour les collaborateurs. Il a effectué un travail préalable de questionnement et d’apprentissage qui visait à comprendre les raisons de départ des collaborateurs. Au regard des réponses apportées, il a décidé de scinder en quatre sa société découpant ainsi la chaîne de valeur et permettant de mieux professionnaliser les activités. Aujourd’hui l’entreprise a doublé le nombre de salariés, malgré un contexte de pénurie.
L’industrie est aussi touchée par une pénurie de talents, comme en témoigne Guillaume de Goÿs. Le principal sujet porte sur l’imaginaire collectif : l’industrie s’est modernisée et pourtant, beaucoup de personnes ont encore une vision erronée du secteur. Pour intéresser les collaborateurs dans la durée et renforcer leur engagement, l’entreprise propose à des collaborateurs volontaires d’aller présenter leurs métiers aux jeunes dans des forums ou des écoles. Ils ont aussi créé des « classes déportées » où les élèves viennent dans l’entreprise, assister au cours d’un des employés. Le fait de parler de leur métier à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise est très valorisant.
Hélène Halec, quant à elle rejoint Pierre Cannet sur le fait qu’il y a un vrai changement sur le marqueur social en tant que tel : « faire carrière », le CDI, le fait de rester dans la même entreprise ne sont plus aujourd’hui les attendus principaux des collaborateurs. En 1990, 60% des salariés disaient « le travail c’est très important pour moi ». En 2024, cette part tombe 24% seulement. Cela ne veut pas dire que les gens ne veulent plus travailler, cela veut simplement dire que le travail n’est plus LE marqueur social. C’est un sujet à prendre en compte dans l’organisation de l’entreprise et dans tout le process de recrutement. Hélène rappelle que le sens au travail est important et surtout le fait de concilier l’individu et le collectif. Cela soulève la problématique suivante : comment répondre aux attentes individuelles pour faire que le collectif soit plus performant ? Y répondre est en partie le travail du manager et c’est un enjeu très fort ! Pour 35% des managers, la conciliation de l’individualité et du collectif est un vrai problème. Ainsi, il faut mettre l’accent sur les managers et les aider !
Pierre rappelle que la définition de l’engagement c’est « l’action de se lier par une convention ou par une promesse ». Il montre qu’il y a deux phases dans l’engagement : la 1ère phase est contractuelle, elle est représentée par « la convention ». Il s’agit ici du contrat de travail où le candidat et l’employeur se mettent d’accord sur le type de contrat qu’ils souhaitent. Pierre ajoute une précision importante, « il faut bien rédiger une définition de fonction car cela permet de savoir concrètement de quoi sera fait le travail demain ». La 2nde phase c’est la promesse, c’est un travail d’argumentaire où l’on va donner au candidat l’envie de le faire venir. Pierre met en garde quiconque de ne pas « maquiller » le travail, de ne pas « se survendre » car si l’employeur fait cela, « à un moment ou à un autre il met en difficulté les managers. La déception peut être grande du côté du collaborateur et le doute s’installe. » Ainsi, il faut qu’il y ait un contrat d’engagement a minima de court terme et il faut une promesse qui soit proche de la réalité.
Les do et les don’t
Hélène Halec adhère aux propos de Pierre quant au fait qu’« il ne faut pas tromper sur la marchandise » ! La transparence est très importante. Par exemple, plus de la moitié des salariés attendent une réponse, positive ou négative, dans un processus de recrutement. Par ailleurs, comme un recrutement fait l’objet d’un contrat, il faut parler du salaire rapidement pour éviter aux deux parties de perdre du temps et également aborder le sujet du télétravail qui est un vrai sujet aujourd’hui pour concilier la vie professionnelle et la vie personnelle. Enfin, la confiance est un élément essentiel et doit aller dans les deux sens.
Ghyslain Morvan adhère aux propos des autres intervenants en parlant plutôt d’alignement. Pour lui, il faut « dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit ». il est primordial de communiquer et de partager, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise. Il rappelle par ailleurs que le salaire, aujourd’hui, est important mais que le respect l’est encore plus. On ne se contente plus d’éléments « matériels » mais bien d’un entourage professionnel aux compétences interpersonnelles acquises.
Guillaume de Goÿs, certes, s’aligne sur ses camarades en soulignant l’importance de la transparence mais il évoque également la question de la relation personnelle et du fit entre deux personnes : « il faut écouter un peu ce que son cœur dit ». Cette affirmation vient contredire tous les récents commentaires qui expliquent qu’un recrutement ne se fait pas sur la base d’un « feeling » mais bien sur la base de compétences ! Et c’est vrai ! Mais il est important de prendre en compte la relation personnelle qui se créée (ou pas) entre le manager et la personne qui est en train d’être recrutée. Parfois le doute est présent et se fait ressentir plus tard : le recrutement est finalement raté, aussi bien pour l’entreprise que pour le candidat. Et il faut recommencer. « C’est un choix mutuel : quand ça se passe mal, c’est un échec pour les deux ».
Pierre compare l’engagement à une course. « La démarche d’engagement n’est pas un sprint, c’est un marathon ». Selon lui, l’erreur que font souvent les entreprises c’est de faire beaucoup de choses le 1er jour à l’arrivée d’un collaborateur puis de laisser le souffle retomber ensuite. Or, « la démarche d’engagement commence avant l’entrée en fonction » : que se passe-t-il pendant la période de préavis ? Si la personne est encore en poste et vous rejoint dans deux ou trois mois, il y a déjà des actions qui peuvent être entreprises et/ou une communication qui peut être réalisée avec le futur collaborateur. Ensuite, il y a bien sûr la période d’essai et il ne faut pas oublier les autres rendez-vous (l’entretien annuel par exemple).
Pierre insiste sur un point : « Ne croyez pas que l’engagement permet la fidélité, les deux termes ne sont pas synonymes. Être engagé ça n’est pas forcément être fidèle et l’engagement c’est plus que de la fidélité c’est autre chose. L’engagement c’est le fait d’être engagé dans l’entreprise, d’être éventuellement ambassadeur de l’entreprise vis-à-vis de l’extérieur. Par exemple être là pour aider l’entreprise à recruter (la cooptation). Ce n’est pas parce que votre collaborateur est engagé qu’il ne va pas démissionner à un moment ou à un autre ».
Le mot de la fin
Chaque intervenant a été invité à donner un mot pour conclure la table ronde. Pour Ghyslain Morvan, le terme « budget » est essentiel. Selon lui, il faut définir un budget pour chaque poste et mettre du budget sur les managers car ils ont beaucoup de responsabilités. Ils ont besoin de formation en permanence car ils sont dans un tourbillon d’évolutions. Il y a un véritable sujet de répartition du budget dans l’entreprise à mettre sur la table. Guillaume de Goÿs quant à lui, préfère le terme de « sens ». Il faut donner du sens à ce que l’on fait et il faut trouver le moyen d’aller dans le même sens (alignement). Selon lui, il ne peut pas y avoir d’engagement et de travail durable si on ne va pas dans le même sens. Pierre, lui, emploie le terme de « retour sur investissement ». Il estime qu’on ne fait pas de l’engagement uniquement pour le plaisir. Il rejoint Guillaume de Goÿs sur l’alignement. Pour Pierre, on le fait parce qu’il il y a un alignement où l’on se dit « c’est ce que l’on attend ». L’alignement est transitoire et temporaire. « Ne vous faites pas d’illusion ce n’est pas parce que vos collaborateurs sont engagés qu’ils resteront dans l’emploi à vie ». Enfin, pour Hélène « l’innovation » est essentielle. Il ne faut pas hésiter à innover, à sortir du cadre car c’est ce qui permet d’avancer. Elle rappelle d’ailleurs que l’innovation n’est pas seulement technologique : elle est aussi sociale, humaine, etc (exemple : les contrats de travail ne sont plus obligatoirement des CDI ; les périodes d’essai sont parfois complètement supprimées).
Retrouvez la totalité des échanges de la table ronde en format podcast ici